Précedemment dans la  cafétaria: ici

Nous débarrassons nos plateaux, puis sortons de la cafétéria.
Une fois sortis, je me sens presque renaître. Du calme, de la fraîcheur et de l'intimité. Tout ce que j'aime. je déteste la foule. Cela me donne l'impression d'être  dans une ruche. Et je déteste les abeilles...

Spoiler:

Je prends la résolution difficile de laisser Vadim m'écouter. Je le  dirige silencieusement, nous traversons la cour en direction de l'internat.

"Je te préviens, mon clavier est d'une qualité médiocre. Si il y avait une salle de musique dans cet établissement ça serait quand même bien mieux... Enfin bon. je te dis tout de suite, mon grand frère a trouvé cet instrument à la déchetterie. Il était en bon état, mais pas franchement des meilleurs... Comme je regrette le Boston à queue de Marianne..."

Nous entrons dans la chambre. J'ouvres un tiroir de mon secrétaire, et en sort trois chemises élastiques, remplies de partitions. L'une est intitulée "autrefois", l'autre "avant", et la dernière " maintenant".

Je les tends toutes les trois à Vadim, en ajoutant: "choisis celles que tu aimerais entendre. je te déconseilles fortement la chemise autrefois. C'est la pire daube que j'ai jamais produite. Les plus récentes sont dans "maintenant". Ça commencent à partir de mon arrivée ici. Il y en a quatre en tout."

Il me remercie, et feuillette les portées, pendant ce temps je branche le  clavier.

Après quelques minutes, il a fait sont choix. Comme je le redoutais, il a choisi toutes celles du dossier "maintenant". Le plus gênant est pour la plus récente, celle de ce midi. Je n'aime pas parler de ce que je ressens pour les gens. Parler de l'amitié que j'éprouves pour Vadim me gêne. J'ai l'impression de m'exhiber. J'espère qu'il comprendra.
"Par laquelle veux-tu que je commences?"
Il veut que je les lui joue dans l'ordre chronologique.De pire en pire. Je suis grillée d'avance. je lui demande juste une chose étrange avant de commencer. Qu'il soit assis dos à moi. Cela atténuera ma gène immense.
"Heuuh Vadim? Cette chanson est spécialement morbide..."
Je commence donc dans l'ordre, par "Painful Blood Tears"

Cette chanson est dans un octave très grave, qui ne monte presque pas dans les aigus, ma voix y est rauque mais à la fois douce, et très sure à assumer, car elle est puissante, ce qui me gêne terriblement.

"You took my soul this night,
You took my happiness,
And all I want now
Is to cry, shout and die,
To stop living know.
My face is red because of my painful blood tears,
The blood tears of my mind,
My face is red as my fire hair,
But I won't be anymore the fire wich I was.
I was a powerful fire,
Tje fire wich destroy others,
But now I suffer this fire,
I am burning because of its,
And now I am not the fire,
I am its ashes.
The ashes fly away,
And I'll never be them again,
Because my face is red as my fire hair,
Because of the painful blood teras of my mind."

J'enchaine immédiatement sur la suivante, "White Light From an Angel". A ce moment là, tout se corse pour moi. Je me sens vulnérable à avouer que j'ai besoin de son amitié et de son soutien pour survivre. Au sens littéral du terme.

Cette fois, tout est dans les aigus, aigu comme le ciel.

"Before I was drowning in my blood,
But I saw this little white light.
I tried to live again,
And I saw you.
You were like an angel,
Like rainbow in the rain,
You are lighting my way.
Without you I'll be dead,
You are my white light,
You are my angel.
I see you like a friend
I don't remember what that means
And I hope I can learn it again,
With you, white angel."


Je n'éprouve plus aucune gêne, je suis emportée par la musique. Mes doigts courent sur le clavier, je me sens bien. Ce moment est parfait.
Et alors arrive la suite, qui me jette ma douleur en pleine face. "Damned Writing", la chanson de cette lettre infâme. Heuresement que Vadim est tourné, qu'il ne peut voir mon expression. Je ne veux pas qu'il voit que j'ai mal. Je dois lui faire honneur et être forte.

"The words on this paper
Hurted me like millions of knifes.
Knifes in my mind, Painful Blood Tears again.
And because I recognized your damned writing,
I felt like if you were killing me.
But it's true, 'cause you're killing me inside.
And because of that, I just wanna die,
I just wanna stop suffering,
But this is so hard, because I remember this night.
In the bathroom at midnight,
Waking up of a terrible nightmare,
I just thought it was enough,
And search all the purple pills.
But you, brother, heard me and came to me,
You took me these assassins pills,
And shook me, and hit me.
You ask me this, but for me it was so clear:
"Why do you wanna die?!"
"'Cause I'm already dead inside!"
And then I cried, and you cried too, brother.
And this night, seeing your damned writing,
I feel like when I tried to take these assassins pills."


Avant de commencer la dernière chanson, "Please Stay", je suis à l'apogée de ma gêne. Pourquoi a-t-il fallu qu'il choisisse quatre chansons?! Une n'aurait-elle pas suffit?

"Without you I'll be broken forever.
All my ashes will be away.
Without you I'll be like before,
A dead soul in an alive body.
This is why I need you,
Please stay,
Oh please stay.
I don't remember what a friend means,
But with you I can learn it again.
I need you to be okay,
I need you to be happy
Please stay,
oh please stay?
I never felt that before,
It's a new thing for me.
I just want you to know that:
I love you as a brother,
Strong brother of my weak mind.

Mon Dieu ce que je me sens mal! Et j'ai tellement envie de dormir...
Je n'ose pas affronter le regard de Vadim. Seulement, il se retourne, et me regarde. J'aimerais disparaitre sous terre...

" Par laquelle veux-tu que je commences ? " Je souris, je suis de nouveau dans sa chambre. Elle a bien voulu me montrer ses compositions. C'est vrai que son clavier n'est pas neuf mais je suis sûr qu'il fera l'affaire. Elle a l'air un peu crispée et anxieuse, je finis tout de même par lui répondre. " Et bien, par la plus ancienne ? " Elle semble hésiter. Elle ne lui plaît pas c'est ça ? Elle accepte à une étrange condition, que je sois dos à elle. Mon regard la gêne sûrement ? Elle est tellement timide je trouve ça touchant. Sans discuter je prends une chaise et me tourne, fermant les yeux pour écouter. " Heuuh Vadim ? Cette chanson est spécialement morbide... " " Ce n'est pas grave ça. Vas-y. "

Les premiers accords me font frémir. L'ambiance se pose, elle me glace le sang. Les basses résonnent, font trembler mon être. Lorsqu'elle commence à chanter, je voyage. Je n'y comprends pas grand-chose à l'anglais mais, j'aime sa voix. Grave et sensuel, j'essaye d'en déchiffrer tout ce qu'elle dit. Bien sûr, la gêne fait chevroté certaines notes, des maladresses se dévoilent mais je les gomme vite de mon esprit. Ce moment est fort, cette entrée en matière est remarquable. Après avoir plaqué le dernier accord, elle ne me laisse même pas le temps de respirer et la deuxième s'enchaîne. Le contraste est radical.

Tout est léger, papillonne et se perd. Je souris, la mélodie m'effleure et sa voix se fait plus douce et joviale. Elle semble s'adresser à quelqu'un. C'est une belle façon de s'exprimer, je suis fasciné par son art. Ses doigts glissent, se pose à peine et la chanson emporte mon esprit plus haut, pour aller jouer dans le ciel. Les erreurs se dissipent, elle prend confiance et c'est encore plus plaisant. Je savoure chaque note et quand elle se termine aussi, je me réveille en sursaut dans la réalité. La prochaine redevient sombre. Ni grave, ni aigu, c'est sa voix qui fait vivre la musique. Tant de colère. J'aurais bien aimé voir son expression. Elle est vraiment douée pour mettre des notes sur ce qu'elle ressent. Dans le peu de mot que je parviens à déchiffrer, j'y vois noirceur et dégoût. S'adressait-elle à Alex peut-être ?

La dernière est douce, j'entends de nouveau sa gêne dans sa voix. Si seulement j'avais le droit de me retourner ! Je ferme les yeux pour ne pas être tenté. Elle est lente et douce et j'arrive mieux à en comprendre le sens. Je ne suis peut-être pas si nul en anglais en fin de compte. Reste, j'ai besoin de toi. Des mots forts, elle parle à un frère ? Je n'ai pourtant pas entendu parler de frères pour l'instant, je me demande à quoi il ressemble. J'ai ma réponse lorsque le dernier accord se plaque et que je me tourne enfin vers elle. I love you as a brother. Ah non j'me gourre ! Elle est toute rouge et n'ose pas me retourner mon regard et mes applaudissements. Je déglutis, je t'apprécie comme une soeur aussi tu sais... " C'était superbe, Lana. Je suis très impressionné ! " Je continue d'applaudir. " La dernière m'a beaucoup plu surtout. " Je m'arrête enfin et m'approche, je viens derrière elle et pose mes mains sur ses épaules. Ses cheveux sont si doux et leur couleur particulière est très belle. Je viens lui embrasser le sommet du crâne. " Moi aussi je te considère déjà comme une petite sœur. "

Lentement, je me recule. Je ne veux en rien l'effrayer. Par chance elle se tourne vers moi et me sourit. J'ai enfin réussi à la refaire sourire, je préfère ça. Je repasse une main dans ses cheveux. " Tu étais fatiguée ? Je vais te laisser te reposer. " En prenant un crayon qui traînait sur le bureau, j'écris sur la partition intitulé " Please Stay ", mon numéro de portable. " Tu sais où me joindre à tout instant maintenant. " Je me dirige vers la porte, j'espère que son sommeil ne sera pas troublé. Moi je retourne à mes activités, j'ai bien envie de jouer un peu de guitare pour retrouver toutes ses mélodies que je garde précieusement en tête. " A plus tard ! " Puis je referme doucement la porte derrière moi.

" C'était superbe, Lana. Je suis très impressionné !La dernière m'a beaucoup plu surtout. "
  Vadim applaudit. Vadim sourit. Et moi je deviens rouge, comme un coquelicot dont les pétales s'envoleraient vers le ciel.
  Enfin, le crépitement bourdonnant de ses applaudissements cesse. Je tente de reprendre le contrôle de mes joues. Vadim vient derrière moi, et pose doucement ses mains sur mes épaules. Je ferme les yeux. Ce contact m'apaise, j'ai l'impression d'être dans de l'eau... De l'eau fraîche, claire, pure... Je serais capable de rester ainsi sans bouger jusqu'à la fin de tout, la mort du soleil, la disparition du néant.
  Puis, je sens un papillon se poser sur mon crâne. Un papillon blanc, aux ailes de cristal. Vadim dépose un baiser délicat sur le sommet du brasier éteint qu'est ma chevelure. Et si la glace pouvait raviver le feu? Tout cela me parait maintenant comme une évidence. Tu as toute la vie devant toi, Lana. Tu peux vivre. tu peux être heureuse. Tu peux te reconstruire. Ton feu oublié va se rallumer, Lana. Tu seras à nouveau un soleil. TU peux redevenir comme avant. Redevenir toi. Ce corps est le tient, Lana. Ce qu'il a subi n'en a pas fait celui d'une autre. Ton esprit et ton corps ne font qu'un Lana. Tu peux le réapprendre. La nuit n'est pas éternelle. Le soleil se couche, mais après la nuit il se lève.
  " Moi aussi je te considère déjà comme une petite sœur. "
  Ces mots m'illuminent. Je suis une étoile. Une étoile parmi tant d'autres. Je ne suis plus seule.
  Je me retourne et souris. Tout me semble beau. Même l'immonde robe de chambre rose cochon qui pend sur une patère.
  Doucement, il me caresse les cheveux. Je me sens si bien...
  " Tu étais fatiguée ? Je vais te laisser te reposer."
  Il est vrai que je suis rompue de fatigue, je suis épuisée.
  Je vois Vadim écrire son numéro de téléphone sur la partition de "Please Stay".
Il reste?!
  " Tu sais où me joindre à tout instant maintenant. "
 Je suis de l'eau. Tout est parfait. Tout est calme, tout est clair, tout est beau, tout est doux.
  " A plus tard ! " Il sort, et referme doucement la porte. Je suis si heureuse.
 Je ne peux pas le laisser partir comme cela. Je quitte vite la chambre, en courant, je marche sur de l'eau mais je ne coule pas. Je suis légère... Légère!
  Je le vois, la main sur la poignée de sa chambre. Je cours de plus belle, et me jette sur lui je le serre dans mes bras, si fort, comme si il allait s'envoler vers le ciel, pour toujours. Je pleure, des larmes douces, de remerciement, de bonheure, de résurrection. "Merci... Merci..."
  Il est si grand, je parais si petite à côté de lui.
  Je ne peux plus m'arrêter de pleurer, là où sont posés mes yeux sont t-shirt est trempé.
  Après quelques minutes de cette étreinte, remerciant cette révélation, je le lâche et le regarde, dans les yeux.
  Je veux revivre.



Puis je retourne dans ma chambre, et doucement m'y endors.

A peine suis-je ressorti, que Lana qui jusque là n'avait pas bougé, me suivit dans le couloir jusque devant la porte de ma chambre. Un peu surpris, mais heureux de la voir sourire je n'ai pas le temps de faire quoi que ce soit, qu'elle se jette dans mes bras. Pudique par nature, je rougis à ce contact mais ferme les yeux et profite du sentiment de réconfort que cet élan d'affection me procure. Elle me sert fort, je le sens bien. Comme si elle ne voulait pas que je m'échappe. Seulement dans son silence, j'entends bientôt ses larmes. Oh non, ne me dites pas qu'il vient de se passer autre chose ? Pas en si peu de temps. Non. C'est impossible. Les larmes se déversent sur moi, j'ai l'impression d'être un précieux mouchoir contre lequel on peut se laisser aller. Après tout pourquoi pas. Ma condition de noble me demanderait de m'offusquer de ce qui arrive, mais ma petite soeur l'a fait bien souvent. Je souris un peu plus et la serre moi aussi, contre mon coeur.

" Merci... Merci... " Je caresse ses cheveux. Maintenant que nous sommes tous les deux debout, face à face et l'un contre l'autre : elle n'a jamais été aussi petite et vulnérable comme ça. Petite, parce que sa tête m'arrive au milieu du torse. Irina est bien plus petite en tout cas, j'ai l'habitude. Je ne sais pas quoi lui répondre. Je me contente de lui offrir ma chaleur et mon tee-shirt pour mouchoir. Je vais pouvoir directement me changer moi, cette pensée me fait rire un peu.

Enfin, lorsqu'elle se calme un peu, elle se recule légèrement et peut constater avec un petit sourire amer, les dégâts qu'elle a fait sur mon haut. Doucement, je mets une main sur son menton, pour lui relever la tête et nous nous regardons droit dans les yeux. Je la sens déterminée, de nouveau rayonnante et elle soutient mon regard sans le détourner cette fois. C'est dans cet échange silencieux, qu'elle finit par me laisser là et retourne jusque dans sa chambre, d'un pas léger et confiant.

Je suis très heureux d'avoir pu lui redonner confiance, un peu du moins. J'ai l'impression que pour moi aussi c'est une thérapie un peu spéciale. Je n'avais pas conscience qu'il suffisait d'écouter les autres puis de chercher ensemble des solutions pour créer un lien, se donner les moyens de réussir et finalement se sentir bien ensemble. Lana me procure tout ça et je trouve que cette rencontre me change moi aussi petit à petit. Elle n'est plus une inconnue avec qui je partage un secret désormais. Je pense pouvoir l'affirmer, je me suis faites une amie.